Dans le brouillard

Le récit suivant s'est passé au siècle dernier. C'est un vieux mécanicien de locomotive à vapeur qui parle.

«Je conduisais le train sur la ligne Chicago-New York avec l'aide de Jim Walker. Nous nous étions mis en marche vers une heure du matin, car nous devions arriver à destination à six heures. Il faisait un temps épouvantable; il pleuvait à verse, le vent soufflait violemment et le brouillard était si dense que les phares de la locomotive n'arrivaient pas à le percer. Il semblait que nous allions foncer contre un mur. Toute mon attention était concentrée à repérer les signaux au bord de la voie, car je ne pouvais les voir qu'au dernier moment. Jim avait profité d'un arrêt pour nettoyer encore une fois soigneusement les phares. J'étais oppressé; je priais pour implorer la protection divine.

Tout à coup, dans le brouillard, je vis l'ombre d'une femme, vêtue d'un ample manteau noir. Elle faisait de grands signes avec les bras, puis brusquement elle disparut dans la nuit. Jim, occupé à la chaudière, n'avait rien vu. Il me regarda et s'effraya. «Qu'as-tu, Frank? On dirait que tu as vu un fantôme». Je fus incapable de lui répondre. Je connaissais le trajet que j'avais effectué bien des fois et je savais que nous étions proche de la fameuse cascade de Rock Creek, une des beautés du parcours, et là, un pont de 200 mètres franchissait le précipice. Je ne disais toujours rien lorsque Jim poussa un cri d'épouvante. La femme en noir était de nouveau devant le train et nous faisait signe d'arrêter. Presque malgré moi, j'actionnai les freins et le convoi stoppa un peu plus loin.

Les voyageurs se mirent aux fenêtres, quelques-uns vinrent aux nouvelles. Ce n'est qu'au chef de train que je pus raconter ce que nous avions vu. «Un fantôme! dit-il d'un ton furieux, vous êtes complétement fous. Enfin, nous allons voir; prenez une lanterne et nous irons jusqu'au pont pour vous tranquilliser.»

À peine avions-nous fait quelques pas qu'un spectacle terrifiant s'offrit à nos yeux. Au-dessus du vide, les rails tordus pendaient au milieu des poutres cassées et des troncs d'arbres arrachés. La cascade, enflée par la pluie diluvienne, passait par-dessus pour se perdre dans l'abîme. Nous regardions ce désastre sans mot dire, réalisant que, si notre train n'avait pas été arrêté, il aurait été précipité dans le ravin.

Je mentionnai encore une fois cette femme, lorsqu'un voyageur s'écria: «Elle est là!» En effet, on pouvait voir une ombre qui s'agitait dans le brouillard; le voyageur se mit à rire: «Regardez! Voilà votre fantôme!» Il montrait un petit papillon qui voletait à l'intérieur d'un des phares. Quand il passait devant le réflecteur, son ombre agrandie était projetée contre le mur de brume, le mouvement de ses ailes donnait l'apparence de signaux.

Pour moi, ce n'était pas le hasard qui avait introduit cet insecte dans le phare. Dieu avait répondu à ma prière. Il peut utiliser même un petit insecte pour protéger la vie des hommes. Mon cœur était ému de reconnaissance.»

«Tous ceux qui se confient en Toi se réjouiront; et tu les protégeras.» Psaume 5:11