En otage (suite)

Laurent, encore sur son lit d'hôpital, téléphone à son père. En attendant sa maman, il reçoit un plateau garni pour apaiser sa faim. Laurent essaie de dormir, mais maman arrive et c'est la joie du revoir et le retour à la maison.

M. Baudrimont encouragea sa femme:

— Chérie, nos bien-aimés sont vivants et de retour. Il nous faut exprimer à Christ notre reconnaissance. Demain lui appartient. C'est aujourd'hui qui est important aux yeux du Seigneur. Oui, remercions-le pour aujourd'hui.

Il y avait longtemps que Papa et Maman n'avaient prié ensemble avec une telle ferveur.

Fidèle à sa parole, avant de s'endormir, Nathalie se rendit chez Madou. Étant en possession des clefs, elle pouvait aller et venir à son gré dans la maison de leur gentille amie. Elle la trouva excessivement fatiguée, mais détendue et sereine.

— J'ai parlé à Marianne, dit Madou. Tout le monde est rassuré là-bas.

— Je le suppose, fit Nathalie, mais Madou, je ne vous trouve pas très bien; c'est sans doute normal après une telle épreuve. Si demain vous n'allez pas mieux j'appellerai le médecin.

— Si vous voulez, acquiesça Madou, mais attendez d'abord que le sommeil réparateur m'ait remise sur pied.

— En tout cas, c'est à mon tour de prendre soin de vous qui avez si bien veillé sur Laurent. Il m'a parlé de vos conversations sur le Prisonnier venu du ciel.

— Votre fils s'est montré très courageux, et nous avons trouvé une ressemblance entre notre situation effrayante et celle du Seigneur Jésus livré aux mains des hommes.

— Merci, Madou, d'avoir su le rassurer.

Avant de partir, Nathalie approcha le téléphone du lit de Madou afin qu'elle puisse appeler à n'importe quelle heure.

«Que de choses faites de travers dans ma vie! songea Maman sur le chemin du retour. Un garçon qui a souffert de mon éloignement du Seigneur, et une fille qui semble me détester... Que c'est terrible!»

De plus, Nathalie était exténuée. Depuis quarante-huit heures elle ne cessait de s'interroger sur tout ce qu'il fallait remettre en ordre avec son Sauveur, afin que la moindre faute du passé soit entièrement pardonnée. Elle désirait repartir du bon pied sur une route harmonieuse, avec l'assurance de l'approbation du Seigneur. Sa pensée se reporta quelques années en arrière. Elle revécut le moment où elle avait annoncé à son mari qu'elle voulait travailler. Claude avait émis des objections. Est-ce que la Bible n'enseignait pas que la femme devait être soumise à son mari en toute circonstance? Pendant ces années où son cœur s'était lentement refroidi, n'avait-elle pas mis de côté certaines indications précieuses des Saintes Écritures? Oh! malgré sa fatigue sans nom, il fallait qu'elle le sache. Elle ne s'endormirait pas avant. Nathalie était loyale dans ses réactions. Si elle marchait de nouveau sur les traces du Seigneur, ce serait sans réserve. Elle désirait que son parcours soit inondé de lumière, sans zones d'ombre; ainsi, par la grâce de Dieu, elle ne trébucherait plus une autre fois.

Elle entra et chercha dans sa Bible. Où donc se trouvait ce passage où les Écritures donnaient des indications remarquables sur la vie de famille?

D'abord, elle feuilleta longuement le Saint Livre sans trouver ce qu'elle cherchait. «Voilà ce que c'est, pensa-t-elle, j'ai perdu l'habitude de lire fidèlement ma Bible, je me contentais d'un verset par-ci, par-là, et maintenant, j'ai du mal à m'y reconnaître.»

Elle persévéra et lut dans Éphésiens 5:24, 25: «Mais comme l'Église est soumise au Christ, ainsi que les femmes le soient aussi à leurs maris en toutes choses. Maris, aimez vos propres femmes, comme aussi le Christ a aimé l'Église et s'est livré lui-même pour elle...» Nathalie se dit que  sa nature indépendante ne la portait pas à s'incliner facilement devant les décisions de quelqu'un d'autre, même si ce quelqu'un d'autre était son mari. Mais avec la fin du verset 25, une onde de joie la traversa. Si les maris aimaient leur femme comme le Seigneur Jésus avait aimé l'Église, ce serait merveilleux. Car Christ était mort pour sauver ceux qui formeraient l'Église.

Elle savait que Claude éprouvait envers elle des sentiments très forts et qu'il respectait chaque verset de la Bible. Donc, elle n'avait rien à craindre de son mari, dont les décisions étaient toujours si sages. N'essayait-il pas constamment de la comprendre? Seulement, qu'avait-elle fait pour ses enfants? Elle n'avait pas vraiment profité de leur présence. Elle n'avait pas perdu le contact avec eux, mais leurs petits secrets, leurs chagrins, leurs fous rires, et même leurs bagarres, et d'autres valeurs si précieuses de l'enfance, tout cela lui avait échappé. Elle s'en voulait maintenant. Et le gâchis dans la vie de Nadège, comment y porter remède?

Toutefois, elle releva la tête. Le Seigneur, dans Sa grâce, venait de pardonner tous ses péchés; Il ne l'accusait plus de rien. Elle lut encore quelques versets qui la réconfortèrent. C'était comme si Christ lui murmurait dans la douceur tranquille de cette nuit d'été: «J'ai aussi payé pour les années que tu regrettes. Cela a été effacé à la croix. Tu as voulu t'éloigner un moment, mais je t'aimais quand même. N'ai-je pas le pouvoir de transformer le mal en bien? Mets en Moi ta confiance et je te répondrai».

Nathalie se dirigea vers sa chambre et s'en fut dormir d'un sommeil aussi confiant que celui de Nadège était agité. Cette dernière garda les yeux grands ouverts pendant de longues heures. Le moindre froissement dans la feuillée, le moindre claquement lointain, le moindre bruit de moto dans les rues du vieux village, le moindre hululement, tout la terrifiait. Il lui semblait que la silhouette de Marcel hantait le voisinage et qu'elle allait le voir surgir de l'obscurité. Se décharger sur le Seigneur de sa profonde angoisse ne lui vint pas à l'idée. Ainsi, l'aube de ce clair matin de juillet s'insinua dans la campagne sans qu'aucune douceur n'ait consolé la jeune fille tourmentée.

* *

Au commissariat, on ne garda Jo qu'une seule nuit. Après des aveux et une déposition écrite, il fut clair qu'il n'avait joué qu'un rôle secondaire dans le hold-up. S'il avait spontanément rendu son arme et sa part de butin, on lui fit comprendre qu'on ne le considérait toutefois pas comme innocent. Plus tard, un jugement serait rendu. Il mit un point d'honneur à ne pas «charger» ses comparses, ni à indiquer leur domicile. «Monsieur le commissaire, trouvez-les vous-même, dit-il, avec respect. D'ailleurs, vous savez déjà leurs noms. Je ne suis pas un dénonciateur.» Afin d'épargner du chagrin à sa mère, il demanda qu'on ne publie pas sa photo.

On verra, on verra, bougonna le commissaire. Et qu'est-ce que tu vas faire en rentrant?

— Trouver un travail, et voir vers quel métier je peux m'orienter. Madou, je veux dire Madame Tessier, m'a dit que quelqu'un m'aiderait.

— Si tu t'en tires de cette manière, entendu. Mais attention, on garde l'œil sur toi. À la moindre incartade, plus de clémence.

Jo ne parla pas de son nouveau départ avec Dieu, ni de l'influence que Madou avait exercée sur sa décision. Bien que résolu, il était encore trop faible dans sa foi pour exprimer de telles certitudes. Il se dit que les policiers auraient cru à une «crise de religion» provoquée par la peur.

Dès qu'il fut à l'air libre, Jo téléphona à sa mère pour lui annoncer qu'il rentrait à la maison, et pour lui dire combien il regrettait tout le mal qu'il lui avait fait. Il lui parla de sa rencontre providentielle avec Madou et de son retour à Dieu. Alors, il comprit qu'on versait des larmes, là-bas, au bout du fil, mais que c'étaient des larmes de joie. «Maman, ne te mets plus en souci, j'arrive!» dit-il en raccrochant.

Il emprunta le R.E.R. pour retourner à Paris. Certes, il devrait encore rendre des comptes à la justice, mais il ne se remettrait plus jamais sous le joug de malfaiteurs. N'était-il pas devenu libre, d'une double liberté? Celle des hommes, mais aussi celle que Jésus donne au cœur repentant.

Georges Luban — dit Jo — était un jeune homme brun aux allures nonchalantes, sous lesquelles il cachait une bonne dose de volonté. Son regard attentif, mais rieur, se posait sur les gens avec une pointe de gaieté et d'assurance. Il aimait rire, mais il pouvait être très sérieux.

Parce qu'il s'était écarté de la foi de son adolescence, il s'était laissé entraîner par les combines douteuses d'hommes peu recommandables. Dans un moment d'égarement, il avait voulu posséder un argent facilement obtenu. Il s'était retrouvé en compagnie d'un Marcel et d'un Bernard. Heureusement pour lui, il n'avait jamais touché à la drogue.

Et voilà qu'à l'heure de son premier exploit avec les truands, quelqu'un s'était mis à lui annoncer librement et sereinement l'Évangile qu'il avait voulu fuir. Ce fut un véritable choc.

Le Seigneur Jésus lui donnait encore une occasion en se manifestant à lui dans l'endroit où il s'y attendait le moins. Il n'avait pas pu résister à cet ultime appel d'un Dieu qui l'arrêtait encore une fois au moment où il allait s'égarer plus loin dans le mal. Il se découvrit une reconnaissance particulière envers la charmante aïeule dont il n'avait pu lier les mains, pendant cet infâme trajet. Il admirait encore le calme et l'inaltérable confiance de Madou. À aucun moment elle n'avait paru terrorisée par sa captivité.

* *

Jane la Brune n'avait pas apprécié du tout d'avoir été abandonnée dans la nature comme une quantité négligeable par ses comparses. C'était une inqualifiable injure qu'elle ne leur pardonnerait à aucun prix. À cause de sa forte corpulence, avancer péniblement sous le soleil agressif de juillet exigeait un effort qui entamait sérieusement son moral. L'avoir plaquée là, sans instructions, quelle honte! Tandis que ses jambes alourdies ralentissaient sa marche, en son cœur la colère montait, montait...

Épuisée, esseulée, elle essaya de régler un premier problème: celui de son retour en faisant de l'auto-stop. Après une demi-heure d'attente, une conductrice serviable l'invita à monter dans sa voiture, et la déposa à trois kilomètres de son domicile. Ces trois kilomètres furent amers, mais il fallait bien, bon gré, mal gré, rentrer chez soi. Quant au deuxième problème, il correspondait à son désir de vengeance. «Oh! ils vont voir ce que ça va leur coûter de m'avoir possédée! Je ne vais pas leur faire de cadeau! Il va leur en cuire!»

À suivre