La poutre et le fétu

J. Briem

«Ne jugez pas, afin que vous ne soyez pas jugés: car, du jugement dont vous jugerez, vous serez jugés; et de la mesure dont vous mesurerez, il vous sera mesuré. Et pourquoi regardes-tu le fétu qui est dans l'œil de ton frère, et tu ne t'aperçois pas de la poutre qui est dans ton œil? Ou comment dis-tu à ton frère: Permets, j'ôterai le fétu de ton œil; et voici, la poutre est dans ton œil? Hypocrite, ôte premièrement de ton œil la poutre, et alors tu verras clair pour ôter le fétu de l'œil de ton frère» (Matthieu 7: 1-5).

Esprit de jugement et sécheresse de cœur

Lorsqu'il enseignait à ses disciples les principes du «royaume des cieux», le Seigneur Jésus utilisait souvent un langage très contrasté. Ici, s'adressant manifestement à des croyants, il envisage un «frère» portant un jugement sur un autre. Et sévèrement, il appelle «hypocrite» celui qui se place avec suffisance au-dessus de ses compagnons de route. Notre Seigneur pèse toujours ses mots, et s'il s'exprime ainsi, c'est qu'il connaît parfaitement les mobiles profonds de nos cœurs perfides, qui nous échappent bien souvent. Et ainsi, il est à même de dévoiler nos arrière-pensées. Il sait que la propension à juger son frère va souvent de pair avec un manque d'amour fraternel. Or un chrétien qui manque d'amour manifeste en cela qu'il «est aveugle, et ne voit pas loin, ayant oublié la purification de ses péchés d'autrefois» (2 Pierre 1: 7-9).

Ne pas juger les mobiles

Dans la même pensée que le Seigneur ici, l'apôtre Paul exhorte les croyants à ne pas «juger» leurs frères (Romains 14: 13). Il ne veut pas dire par là qu'ils doivent fermer les yeux sur le mal dans le peuple de Dieu ou le laisser se développer sans s'en préoccuper. Ce serait en contradiction avec de nombreuses autres déclarations inspirées. Le même apôtre écrit ailleurs: «Mais nous vous enjoignons, frères, au nom de notre Seigneur Jésus Christ, de vous retirer de tout frère qui marche dans le désordre» (2 Thessaloniciens 3: 6). Il écrit de même aux Corinthiens: «Vous, ne jugez-vous pas ceux qui sont de dedans?» (1 Corinthiens 5: 12). Cela suppose évidemment qu'il doit y avoir un jugement du mal. Mais ce que nous devons juger, ce sont les actions, ce qui est placé sous nos yeux, alors que le Seigneur nous met ici en garde contre l'esprit de jugement, qui a la prétention de juger les mobiles. Or ceux-ci, Dieu seul les connaît. «L'homme regarde à l'apparence extérieure, et l'Éternel regarde au cœur» (1 Samuel 16: 7).

Dans le monde, il est très courant que la suspicion et la critique empoisonnent les relations mutuelles des hommes. Mais parmi les disciples du Seigneur, c'est un autre principe qui doit régner: «A ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l'amour entre vous» (Jean 13: 35). Or les troubles qui peuvent survenir dans les relations d'affection devraient précisément être l'occasion pour le chrétien de manifester l'amour divin envers son frère, même si l'amour n'est pas donné en retour.

Lorsqu'un enfant de Dieu vient à pécher (ce qui arrive bien évidemment), alors la première pensée de celui «qui est spirituel» — du croyant conduit par l'Esprit de Dieu — n'est pas de faire valoir les droits de la justice et de la sainteté vis-à-vis de celui qui a bronché, mais de «redresser un tel homme dans un esprit de douceur», prenant garde à soi-même, de peur que soi-même on ne soit tenté (Galates 6: 1).

«Juger» ou «exercer le jugement», dans le sens de prononcer une condamnation sur quelqu'un, ne nous appartient pas. Dieu s'est réservé cela. C'est lui «qui, sans acception de personnes, juge selon l'œuvre de chacun» (1 Pierre 1: 17). Dans sa souveraineté, il a certes employé des hommes — même souvent des incrédules — comme instruments pour exécuter ses actes de jugement. Sous certaines conditions, il donne aussi aux siens l'autorité nécessaire pour juger le mal qui survient au milieu d'eux; mais cette autorité n'est pas attribuée à un seul: c'est l'Assemblée qui peut «lier» et «délier», quand elle agit comme telle.

Conditions pour un jugement spirituel

Avant d'envisager de juger le mal chez d'autres, chacun doit être bien conscient qu'il est lui-même sous les yeux du Seigneur, le juste Juge auquel rien n'échappe. C'est pourquoi le Seigneur Jésus dit ici: «Du jugement dont vous jugerez, vous serez jugés; et de la mesure dont vous mesurerez, il vous sera mesuré» (versets 1, 2). Nous sommes en danger constant de nous comparer à d'autres et de former un jugement inadéquat aussi bien sur nous-mêmes que sur ceux qui sont avec nous «esclaves du Seigneur».

Paul, fidèle serviteur du Christ, n'avait aucune crainte de placer son service devant ses frères et même devant le jugement du monde; il n'avait rien à se reprocher. Mais il savait aussi que le fait d'avoir une bonne conscience devant Dieu ne suffisait pas à le justifier (1 Corinthiens 4: 3, 4). «Celui qui me juge, c'est le Seigneur», dit-il. Voilà ce qui était déterminant pour lui. C'est l'attitude qui convient à tous ceux qui sont appelés à servir le Seigneur en servant les siens.

Point de bien en moi

Dieu veut que les siens soient conscients non seulement de leur faiblesse, mais aussi du fait qu'ils sont exposés au péché. La connaissance de ce que nous sommes ne doit pas avoir pour seul effet que nous nous réjouissions du pardon de nos péchés. Et si nous avons été gardés jusqu'à ce jour de faux pas grossiers, nous n'en avons aucun mérite. Le fait d'avoir été élevé par des parents chrétiens, et d'avoir vécu dans une maison où l'autorité de la parole de Dieu est reconnue, a eu un effet protecteur sur beaucoup des rachetés du Seigneur, de sorte qu'ils ont été gardés de chutes graves. Cela ne saurait être trop apprécié, mais doit être attribué exclusivement à la grâce de Dieu.

Or justement, il arrive assez souvent que celui qui a eu des parents croyants, et qui a eu une vie apparemment bien réglée, apprend difficilement à accepter la grande vérité exprimée par l'apôtre: «Je sais qu'en moi, c'est-à-dire en ma chair, il n'habite point de bien» (Romains 7: 18). Et par conséquent, il a de la peine à se juger lui-même profondément et avec droiture.

Alors, une telle illusion quant à la totale incapacité de la chair devant Dieu est le terrain favorable pour le développement de la propre justice. «Avoir une haute pensée de soi-même, au-dessus de celle qu'il convient d'avoir» (Romains 12: 3), n'est rien d'autre qu'une forme d'orgueil, même si elle est camouflée par une apparence de piété. La propre justice, c'est de l'orgueil.

C'est ce dont parle le Seigneur quand il emploie l'image du «fétu» et de la «poutre» dans l'œil. Son intention n'est certainement pas de faire la distinction entre les petits et les grands péchés — comme si ses disciples devaient fermer les yeux sur les petits péchés. Ayant devant lui les heures terribles de la croix, dans lesquelles il devait lui-même souffrir pour les péchés, comment aurait-il pu en minimiser la gravité (cf. 1 Pierre 3: 18)?

La poutre dans l'œil de mon frère

L'intention du Seigneur était de montrer aux disciples qu'ils ne pourraient jamais juger justement leur frère s'ils ne s'étaient pas d'abord jugés eux-mêmes justement. Il est bien nécessaire que cela nous soit rappelé. Par exemple, nous croyons connaître les motifs — mauvais à nos yeux — qui ont conduit notre frère à faire ceci ou cela, et nous sommes indignés qu'il ne veuille pas le reconnaître. Il doit sûrement être aveugle, pensons-nous peut-être; il a sûrement un bandeau sur les yeux ou une poutre dans l'œil.

Mais c'est précisément là ce que le Seigneur ne dit pas. Si quelque chose s'est logé dans l'œil de mon frère, le Seigneur l'appelle un «fétu». La défaillance de l'homme se manifeste partout. Mais le Seigneur veut inverser la direction de mon regard: ce n'est pas mon frère mais moi-même que je dois juger premièrement.

La poutre dans mon œil

Pour avoir une vraie connaissance, une juste image de moi-même, il est nécessaire que je me considère dans le miroir de la parole de Dieu (Jacques 1: 23). Je pourrai alors prendre conscience de la «poutre» qui se trouve peut-être dans mon propre œil. Et s'il y en a une, il ne faut pas que je m'en aille simplement et que j'oublie ce que je suis (verset 24), car alors je ne pourrai jamais être en mesure d'ôter le «fétu» de l'œil de mon frère.

Les termes très forts de cette parabole sont là pour nous apprendre à juger notre penchant à la propre justice — et cela, n'est-ce pas une «poutre»? — et à nous voir tels que Dieu nous voit: comme d'anciens pécheurs qui maintenant ont été graciés et qui, leur vie durant, dépendent de sa grâce — les uns aussi bien que les autres. Mes fautes peuvent être qualifiées de «poutres» parce qu'elles sont plus proches de moi que celles de mon frère, et je suis premièrement responsable de les reconnaître.

Dans la réalité matérielle, une poutre ne peut évidemment pas se loger dans un œil; il est beaucoup trop petit pour cela. Le Seigneur fait manifestement appel ici à la capacité spirituelle de juger: «Hypocrite, ôte premièrement de ton œil la poutre, et alors tu verras clair pour ôter le fétu de l'œil de ton frère». Cela nous fait penser au méchant esclave auquel son maître avait remis une dette de dix mille talents, mais qui, étant sorti, étranglait un de ceux qui étaient esclaves avec lui, parce qu'il lui devait la somme comparativement insignifiante de cent deniers (Matthieu 18: 27, 28). Combien facilement nous oublions que nous sommes des graciés!

Quand je mesure mon frère selon les normes de la parole de Dieu — et c'est cela que le Seigneur entend par «juger» — je ne dois jamais oublier que la même mesure est valable aussi pour moi. J'ai besoin chaque jour de l'immense grâce de Dieu, qui s'exerce aussi envers mon frère. Mais Dieu ne donne la grâce qu'aux humbles (Jacques 4: 6). Celui qui perd cela de vue, le Seigneur l'appelle un hypocrite.

Le remède: se juger soi-même

Mais comment puis-je ôter la poutre de mon œil? En me plaçant habituellement dans la lumière de la parole de Dieu et en apprenant à me voir comme Dieu me voit. Cela ne signifie pas que je doive vivre replié sur moi-même et n'être occupé que de mon imperfection — ce qui me rendrait malheureux. Par contre, je dois être toujours prêt à confesser à Dieu mes manquements, tous mes faux pas dans le chemin, dès qu'il me les fait connaître. «Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés» (1 Corinthiens 11: 31).

Que notre vie soit orientée en vue du tribunal de Christ, et se déroule dans sa lumière! Soyons prudents et gardons-nous de l'esprit critique quant aux façons de faire de nos frères et sœurs dans la foi. «Qui es-tu, toi qui juges le domestique d'autrui? Il se tient debout ou il tombe pour son propre maître; et il sera tenu debout, car le Seigneur est puissant pour le tenir debout» (Romains 14: 4).

Nous n'avons pas tous la même mesure de développement spirituel, et aussi longtemps qu'il y a une croissance spirituelle saine, c'est la confiance qui doit nous animer. De cette manière, nous pouvons progresser dans la connaissance non seulement de nous-mêmes, mais avant tout de la grâce de notre Seigneur et de la valeur de sa personne et de son œuvre (cf. Philippiens 3: 12-16). En même temps, nous sommes rendus capables de le servir déjà sur la terre, aussi bien par des «sacrifices de louanges» que par un vrai dévouement envers les siens.

C'est là le chemin pour être délivré de la propre justice. Cet exercice dure toute la vie. Nous n'avons aucune raison de nous glorifier. Plus nous sommes remplis du Seigneur de gloire, plus nous perdons de notre propre importance à nos yeux et plus nous désirons vivre pour lui seul. Le résultat pour notre vie d'assemblée sera que nous pourrons nous supporter et avoir beaucoup de grâce les uns pour les autres.